Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Enquête pédagogique en Afrique du Sud
Newsletter
30 mai 2010

Rencontre avec Daniel Kakaza, élève au lycée de Qunu, dans l’ancien bantoustan du Transkei

Photo_13_050

Molweni !

« Je m’appelle Daniel, je suis en terminale et j’ai 21 ans. Je sais, c’est un peu vieux pour un lycéen, mais j’ai fait quelques bêtises avant de me ranger… Plus tard, j’aimerais devenir comptable, voire économiste ! Alors j’ai choisi business et économie comme spécialité pour le Matric, l’équivalent du bac français.

Je suis né près de Mthatha, dans un village mpondo – une tribu xhosa – qui s’appelle Nyandeni. Son chef, Tutor Ndamase, est reconnu par Monsieur Nelson Mandela ! Au total, je parle cinq langues : xhosa, afrikaans, anglais, un peu de sesotho et un peu de zoulou. Le xhosa et l’anglais me suffiraient, pour tout dire… Parler Afrikaans reste rare dans ce coin du pays. Je l’ai appris parce que j’étais au lycée à Mthatha, avant de venir ici, à Qunu. J’aime cet endroit parce que dès qu’on s’échappe un peu dans les montagnes, on voit la maison de Monsieur Mandela. Qunu est un lieu rempli d’histoire et ça se sent. Et puis c’est calme. En ville, mine de rien, c’est difficile de s’en sortir. Ici, les conditions sont bonnes. Et on a gardé notre culture, alors que beaucoup de gens, en ville, sont devenus très individualistes et se détournent de leur propre culture.

Qunu_village_5

La mienne, puisqu’on en parle, est xhosa. J’ai été circoncis à 16 ans, comme la majorité de mes camarades. C’est à partir de ce moment-là qu’on devient un homme. L’initiation, au total, dure un mois – entre juin et décembre. Tu es dans la montagne, dans une hutte avec des ainés qui te donnent quelques règles de vie. Tu n’as pas le droit d’accéder à un hôpital : les médicaments sont dans la nature… C’est dur, mais c’est important : on y apprend qu’un homme digne de ce nom doit savoir anticiper l’inattendu, qu’il doit toujours trouver un moyen de protéger sa famille !

La tradition est importante pour moi. Mes origines aussi. Mon père est né dans un village proche de Mount-Frere. C’était un vrai petit villageois, qui gardait le bétail toute la journée. Mais il bougeait toujours, parce que son père était prêtre : il allait de ville en ville prêcher la bonne parole. Un jour, dans le village de Mthatha Mouth, sur la côte – où ils n’ont toujours pas l’électricité aujourd’hui, parce qu’ils ne le veulent pas – son père a justement aperçu une jeune fille de 18 ans : « Elle est faite pour mon fils », a-t-il dit. Il venait de rencontrer ma mère. Au début, elle n’aimait pas trop mon père, mais elle n’avait pas le choix. Et puis, il a changé, il est devenu chrétien pour elle, ils sont devenus très complices. C’est une belle histoire…

DanielMes parents m’ont donné le sens des responsabilités. Je suis par exemple président de la « Peer education » dans mon école. C’est un système par lequel des gens ordinaires, et non des professionnels, se chargent de la prévention en matière de santé auprès de leurs pairs… J’aime motiver les gens. Je suis vraiment confiant, grâce à ma mère : « Tu n’as pas le choix, tu dois avoir confiance, me disait-elle. Sinon tu seras un perdant. » Elle avait raison. Et puis je sais d’où je viens. A l’âge de sept ans, j’ai eu un grave accident de voiture. J’ai mis des années à m’en remettre. Ca a été dur, j’ai même pensé au suicide. Mais ma mère m’a forcé à aller dans une école normale, alors que j’étais handicapé… Je me suis battu. J’ai parfois lâché prise, et suis même tombé dans la drogue deux fois assez profondément. En 2006, j’ai tout arrêté : « Qu’est-ce que Dieu va penser de moi ? », me suis-je demandé. J’ai commencé à aider des gens, à écrire des poèmes… Je veux devenir quelqu’un. L’an prochain, je vais essayer d’intégrer une école d’art et culture à la grande ville, Johannesburg. Je n’y suis jamais allé. J’ai peur. Mais les défis aident à grandir… »

Si je me sens d’abord xhosa ou sud-africain avant tout ?

« Parce que je suis circoncis, et que je suis fier de ma culture, je répondrais xhosa. Mais je suis bien sûr sud-africain. Et franchement, même si certains restent privilégiés, même si d’autres restent pauvres, on fait tous face aux mêmes défis… A Mthatha, j’ai des amis blancs et indiens. Ils ne sont pas différents de moi ! »

L’apartheid n’a donc rien changé ? Photo_13_040

« Mes parents m’en parlent beaucoup. D’autant plus que ma mère est députée ANC provinciale, à Bisho. Cette période me passionne de toute façon : on ne peut pas construire l’avenir sans bien connaître son passé. C’est vrai à titre individuel, mais aussi à l’échelle d’un pays. Le Transkei était un bantoustan, pendant l’apartheid. Il était réservé aux noirs. D’après ce que j’en sais, dans les villages, on était heureux : ils étaient les endroits les plus sûrs, hier comme aujourd’hui. Puisqu’on avait droit à une pseudo indépendance, on n’avait pas à se plier aux autres règles… Du moins, on ne souffrait pas de ne pas avoir le droit de se mélanger !

En 1994, on a promis qu’on instaurerait l’égalité entre les races. Monsieur Mandela l’a promis. Aujourd’hui, Julius Malema, le président des jeunesses de l’ANC, le trahit en tenant souvent des propos racistes. Je suis pour le moment assez peu optimiste sur l’avenir de notre pays… Mon espoir ? Que nos dirigeants cessent de tous vouloir être des leaders. Ils veulent s’enrichir et ne montrent pas l’exemple… S’ils ne changent pas, alors la nouvelle génération les imitera : ils sont notre seul modèle. Et les riches continueront de devenir plus riches, et les pauvres s’appauvriront encore… Si nos dirigeants règlent cette question de « leadership », l’Afrique du Sud sera un meilleur endroit pour tout le monde. Nelson Mandela était un vrai leader parce qu’il avait une vision de la nouvelle Afrique du Sud qu’il voulait construire. Si vous n’avez pas de rêve, vous ne pouvez pas être un bon leader !

Mon  vœu pour le pays ? 2010 va apporter beaucoup d’argent. Nous devons bien l’utiliser, nous devons créer des emplois, faire en sorte que tout le monde en profite, sans considérer le sexe, la couleur de peau ou la taille du porte-monnaie… Je suis sûr que ça va bien se passer. »

soutenez UBUMI

Publicité
Commentaires
Publicité
Enquête pédagogique en Afrique du Sud
  • Après 2 séjours d'1 an en Afrique du Sud depuis 2005, nous repartons cette fois pour 3 mois, pour un tour du pays à la rencontre de Sud-Africains souhaitant répondre à nos questions sur le vivre-ensemble dans une société multiculturelle.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité