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Enquête pédagogique en Afrique du Sud
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17 juin 2010

Au nom du changement

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L’ont-ils seulement remarqué ? La plupart des étudiants de Rhodes University, à Grahamstown, continuent d’aller retirer de l’argent ou de surfer sur le web à « The Union ». Leur building vient pourtant d’être renommé « Bantu Steve Biko », en hommage au célèbre chantre de la « conscience noire », mort sous la torture dans les années 1970… Mais les étudiants prêtent-ils encore attention à ces changements sémantiques, auxquels ils sont désormais habitués ? Leur propre ville, très liée au passé britannique de l’Afrique du Sud, pourrait d’ailleurs s’appeler iRhini dans quelques années, et la communauté de communes qui la chapeaute se nomme déjà Makana, du nom d’un guerrier xhosa du XIXe siècle...

Grahamstown change. Le pays change. Ses noms de rues, d’avenues, de théâtres ou de stades aussi. Ses cartes routières enfin, vite devenues obsolètes. Polokwane (Limpopo), où l’équipe de France affronte ce soir le Mexique en Coupe du monde de foot, s’appelait encore Pietersburg il y a dix ans. « Nous sommes les mêmes », rappelle-t-on aujourd’hui à Pretoria en ne communiquant plus désormais que sur Tshwane, le nom southou de la communauté de communes. « A la demande de ses habitants, Verwoerdburg, dans la banlieue de Pretoria, est devenue Centurion, ajoute Georges Lory, délégué général des Alliances françaises, dans L’Afrique du Sud, l’un des derniers ouvrages de référence consacrés, en français, au pays de Mandela (Editions Karthala). L’infamant John Vorster Square, où certains détenus préférèrent le suicide à la torture, est devenu de façon neutre le Johannesburg Central Police Station. Les aéroports ont perdu toute référence à des Premiers ministres afrikaners, les hôpitaux ont gagné quelques martyrs, comme à Soweto le Chris Hani Baragwanath Hospital. Les navires de guerre ont été débaptisés, tel le PW Botha, devenu de façon tout aussi guerrière le Shaka. »

D’une offense à l’autre

Copie_de_Photo_9_136A dire vrai, la plupart des procédures de changements de noms sont comprises et acceptées par la majorité des Sud-Africains. D’autant mieux qu’elles sont surtout symboliques, forcément nécessaires dans certains cas et rarement excessives. La municipalité de Durban communique ainsi sur la double dénomination Durban-eThekwini… Le système y est dual, comme en Australie, au Canada ou en Slovénie. « Mais dans certaines provinces, l’équipe au pouvoir a changé les noms de villes ou villages sans véritable consultation, ni considération de l’histoire locale, déplorait le 8 avril 2007, devant la 52e conférence de l’ANC à Polokwane, Jan Bosman, l’un des leaders de la Ligue des frères afrikaners, une société anciennement secrète dont le but était la promotion de la nation blanche afrikaner. Renommer une rue ou un aéroport parce qu’il était offensant pour un groupe peut le devenir pour un autre groupe… »

Et s’il avait un peu raison ? Une ado « previously disavantaged » (1) interrogée au Cap par l’équipe d’Ubumi le suggérait il y a quelques mois en s’étonnant du choix des nouveaux noms effectué : « C’est utiliser les mêmes méthodes que les régimes précédents… Des noms neutres pourraient être choisis, pas systématiquement liés aux ethnies noires. C’est trop frontal. Bien sûr que c’est offensant. Et fragile : qui sait combien de temps l’aéroport de Johannesburg portera le nom d’OR Thambo ? » Dans le Limpopo, Makhado (en hommage à un roi venda) a été un temps préféré à Louis-Trichardt, du nom d’un ancien leader du Grand Trek, au XIXe siècle (lire l’excellent papier de Sabine Cessou, in Libération, 4 juin 2010). « C’est là que le bât blesse, déplore Jaco Kleynhans, au syndicat afrikaner Solidarity. Si on comprend certains changements, d'autres remplacent des noms de personnalités historiques ne représentant en rien l’Apartheid. On veut nous aliéner ! »

Son sentiment d’injustice est largement partagé. La politique de changements de noms, coûteuse, fait débat en Afrique du Sud, chez les Blancs comme chez les Noirs. Ubumi n’y prend pas part. Ubumi souhaite juste soulever les questions relatives à la construction d’une nouvelle nation, d'une identité : nécessite-t-elle de déboulonner une statue, de la remplacer par une autre et d’entourer cette dernière de grilles infâmes pour la protéger d’une vengeance promise… et inévitable ? C’est en tout cas la voie choisie pour le moment par la mairie de Louis-Trichardt/Makhado…

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(1) Littéralement, "anciennement désavantagé" : dénomination politiquement des "non blancs" qui ont souffert du régime d'Apartheid.

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  • Après 2 séjours d'1 an en Afrique du Sud depuis 2005, nous repartons cette fois pour 3 mois, pour un tour du pays à la rencontre de Sud-Africains souhaitant répondre à nos questions sur le vivre-ensemble dans une société multiculturelle.
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